Terrains à bâtir en zones inondables
M. Florent (Ecolo). – Monsieur le Ministre, en ce début d’année 2024, des pluies incessantes ont causé de
nouvelles inondations à travers la Wallonie. Le 4 janvier, ce n’étaient pas moins de 16 cours d’eau qui
se sont retrouvés en alerte de crues. Le vendredi 5, la Semois et plusieurs affluents étaient toujours en crue
avec des inondations, notamment à Bertrix et Bouillon. De nombreux habitants ont été impactés à nouveau par
ces inondations hivernales, notamment ceux dont la maison se trouve en zone inondable.
La triste expérience de ces citoyens, fréquemment touchés pour certains, ainsi que le douloureux souvenir
des inondations de 2021 doivent être un rappel constant de l’importance d’une politique d’aménagement du
territoire cohérente.
Or, aujourd’hui, on retrouve des terrains à bâtir en zone inondable, et certains sont même à vendre, parfois
à prix d’or, en bord de cours d’eau. C’est ainsi qu’à Cugnon, un terrain à bâtir et mis en vente s’est retrouvé
complètement, mais complètement sous eau. J’ai mis la photo en annexe de la question.
Lorsque l’on sait ce qui attend les futurs habitants de ces maisons, n’est-il pas irresponsable de laisser ces
terrains en vente en tant que terrains à bâtir ? Quel sens cela a-t-il de permettre de bâtir en zone clairement
inondable et d’ailleurs inondée ? Rappelons qu’une des conséquences du dérèglement climatique sera l’augmentation des fréquences et de la vigueur des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les tempêtes, les ouragans, les inondations, les sécheresses. L’année 2023 a été l’année la plus chaude dans le monde depuis le début des relevés de température.
Comment renforcez-vous les mécanismes existants, mais visiblement insuffisants prévus pour éviter ces constructions en zone inondable ? Une réévaluation des terrains à bâtir en zone inondable est-elle prévue ? Suite
aux événements récents, quelles mesures avez-vous prises afin de lutter contre l’artificialisation des sols,
notamment en amont des zones inondables, et de limiter les constructions dans ces zones inondées ?
Enfin, les personnes qui seraient inondées à l’avenir, alors qu’elles ont bâti sur un tel terrain, pourraient-elles
se retourner contre les autorités au prétexte de ne pas avoir pris les mesures suffisantes en fonction de l’état
des connaissances sur le risque d’inondation ?
Terrains à bâtir en zones inondables Monsieur le Député, je suis attentif aux préoccupations que vous venez d’exprimer. Je souhaite rappeler d’une part les actions concrètes qui apportent déjà des réponses aux personnes qui développent, instruisent ou envisagent des projets urbanistiques. Mon propos sera complété par des développements consacrés aux réformes du CoDT que votre Parlement a acceptées, votées et qui entreront en vigueur le 1er avril 2024.
Je voudrais rappeler :
- la circulaire du 23 décembre 2021 qui traite de la constructibilité en zone inondable et vise à améliorer l’instruction dans ces zones ;
- le référentiel « Constructions et aménagements en zone inondable », édité en octobre 2022, qui aide à analyser et à concevoir, le cas échéant, des projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Il fournit aussi des balises pour l’analyse de demandes de permis pour des projets situés dans une zone d’aléa d’inondation ou à proximité d’un axe de ruissellement ;
- pour permettre de réduire les impacts environnementaux et économiques liés à la gestion de l’eau ainsi que les risques d’inondation en aval d’un projet, un deuxième référentiel porte sur la « gestion durable des eaux pluviales ». Il a été publié en juin 2023. La réforme du CoDT votée récemment apporte des réponses nuancées, mais concrètes à la problématique que vous évoquez. L’exposé des motifs du décret voté le 13 décembre 2023 explique longuement la manière dont le Gouvernement a tenu compte des recommandations formulées dans le rapport du 24 mars 2022 de la Commission d’enquête parlementaire.
D’une part, dès avril 2024, les pouvoirs de tutelle des fonctionnaires délégués seront modifiés. Ceux-ci pourront suspendre les permis et certificats d’urbanisme n° 2 qui ne prennent pas suffisamment ou adéquatement en considération les risques naturels ou contraintes géotechniques majeures visées par notre Code en son
article D.IV.57, 3°, parmi lesquels figurent, évidemment, les inondations.
D’autre part, le Gouvernement va arrêter en application de ce décret la forme et le contenu des demandes de permis pour intégrer, je cite : « les éléments nécessaires pour appréhender les risques naturels et les contraintes géotechniques majeures, tels que visés à l’article D.IV.57, 3° ».
Le CoDT impose une réflexion de la planification et des projets par rapport aux risques naturels et aux contraintes géotechniques. Aussi, tenant compte des réflexions dégagées lors de l’élaboration notamment du schéma stratégique multidisciplinaire du bassin versant de la Vesdre, un droit de préemption pour les biens soumis à un aléa d’inondation a été retenu et intégré dans une maîtrise foncière élargie aux terrains soumis à un risque naturel ou à une contrainte géotechnique. En outre, à la condition qu’elles aient pour objectif la sécurité publique, des mesures de limitation du risque relatives aux biens immobiliers exposés à un risque naturel – dont l’inondation – ou à une contrainte géotechnique majeure pourront être envisagées par la voie, le cas échéant, de l’expropriation, même si le dialogue et les solutions négociées restent à privilégier.
Au moment de l’acquisition d’un bien, des procédures de consultations de la Commune sont prévues, d’une part. D’autre part, une instruction est menée par l’étude notariale si la transaction est confiée aux bons soins d’un notaire. Dans ce contexte, la Commune informe dûment le notaire agissant pour le compte de l’acquéreur potentiel de tous les éléments, en ce compris les expositions aux aléas d’inondation d’un terrain ou d’une propriété faisant l’objet d’un projet d’acquisition. D’autre part, les notaires, avec la
diligence et les règles d’activités qui sont les leurs, informent également l’acquéreur de tout élément porté à
leur connaissance concernant un bien ou une propriété. Troisièmement, il y a une longue jurisprudence et
une doctrine concernant la théorie du vice caché en ce qui concerne la vente d’un bien. Tous ces éléments me
conduisent à croire qu’il y a suffisamment de filtres, de clignotants qui s’allument ou bien encore d’informations directement communiquées à un acquéreur potentiel.
Je ne peux qu’inviter toutes celles et tous ceux qui sont intéressés par un terrain à bien évidemment solliciter, au-delà des informations légalement communiquées, telles que je viens de les fixer et du rôle du notaire instrumentant et éventuellement de l’agent immobilier, à se documenter quant à tout risque d’inondation, d’aléas, d’expositions telles que constatées par les textes, par les cartographies ou bien encore, indépendamment de ceux-ci, par les faits. En ce qui concerne des observations plus ou moins récentes.
Je rappelle enfin que le Gouvernement actualisera ces cartes d’aléas d’inondations. Je pense que c’est pour
2025. Dans ce contexte, l’acquéreur potentiel dispose de tous les éléments de manière à pouvoir apprécier si oui
ou non la constructibilité d’un terrain est effective ou bien est compromise. En toute hypothèse, je ne peux
qu’engager à la plus grande vigilance, mais aussi à la plus grande prudence en la matière.
M. Florent (Ecolo). – Très clairement, les cours d’eau en Wallonie vont continuer à s’étendre au gré des
pluies. Alors vous nous dites : « Attention, on a déjà fait un certain nombre d’améliorations, notamment lors d’un
dépôt de permis. Une analyse beaucoup plus fine de l’aléa d’inondation aura lieu. Et puis une information
accrue ». Moi, je me demande s’il y a un droit de préemption tel que celui qui est prévu dans la vallée de
la Vesdre ne devrait pas être étendu à l’ensemble des zones inondables en Wallonie, en tout cas là où les
risques sont vraiment avérés. Cet exemple-là, je le trouve particulièrement parlant. C’est un terrain comme
il y en a d’autres à bâtir complètement sous eau. J’étais assez interloqué d’entendre à la télévision le promoteur
immobilier qui disait « Oui, mais ça fait même partie du charme de ce terrain d’être vraiment au bord de l’eau.
Cela accroît son cachet. » Je trouve un peu surprenant que les autorités continuent vraiment de permettre la
vente de terrains qui seront in fine bâtis et qui poseront des problèmes à l’avenir, c’est certain